L’évolution de la structure industrielle, une approche par l’automobile

Actualité initialement publié dans la newsletter de l’ADMEO N°32 – Janvier 2007

La littérature économique et les médias opposent régulièrement les mouvements d’intégration, comme les fusions-acquisitions, à ceux de « dé-intégration », comme l’externalisation. Dans cette perspective, ils sont représentés comme deux phases alternatives d’un cycle qui se répète de manière continue. Si l’on peut mettre en évidence une accentuation ponctuelle de certains comportements industriels, il semble cependant plus difficile d’affirmer que les uns excluent les autres. L’industrie automobile peut fournir une bonne illustration de ces évolutions.
Après une première phase d’intégration verticale, soutenue et régulière[1], qui couvre la majeure partie du vingtième siècle, l’industrie automobile connaît, depuis les années 1990, un mouvement intense de dé-intégration verticale. En effet, depuis deux décennies, les constructeurs d’automobiles se spécialisent dans les activités relatives à la consommation du produit (financement, entretien, etc.) et délèguent une part croissante des activités productives et de conception à leurs équipementiers. En dépit de cette transformation, la structure des marchés a peu évolué. Si la globalisation des échanges a permis l’émergence de quelques nouveaux constructeurs, provenant essentiellement d’Asie, cette structure s’est peu modifiée. Elle reste relativement concentrée entre les mains des grands groupes qui ont fait l’industrie automobile. Il est ainsi possible de constater que les mutations les plus importantes se situent en amont du marché. En effet, si ce dernier reste le domaine du constructeur, en revanche, la production lui échappe progressivement puisqu’elle est aujourd’hui segmentée et répartie sur un large ensemble d’entreprises spécialisées.
Il convient de souligner que cette dé-verticalisation est principalement le fait des constructeurs qui délèguent tout un ensemble d’activités productives à des entreprises spécialisées, parce qu’elles sont en mesure de leur proposer des technologies plus innovantes. Ces technologies confèrent un avantage important sur un marché qui reste très concurrentiel et où la diversification est un élément essentiel de la compétitivité. L’externalisation vise également à combiner un objectif de coût à celui d’innovation. En effet, seuls des fournisseurs indépendants sont en mesure de réaliser les économies d’échelle nécessaires au maintien de la compétitivité des constructeurs.
Cette évolution de la production dans l’industrie automobile ne conduit pas à des stratégies homogènes au sein des différentes firmes qui la composent. En effet, la dé-intégration des activités productives est l’expression d’une spécialisation des entreprises. Elle implique, par conséquent, un renforcement d’un certain nombre de ressources critiques et une croissance des structures des entreprises. Schématiquement, l’externalisation des activités productives par les constructeurs s’est accompagnée d’un processus d’intégration chez les équipementiers. En effet, les exigences des constructeurs en termes de qualité, d’innovation et de coût ne peuvent être satisfaites que par de grands groupes ayant d’importantes capacités de production, d’investissements et d’innovation.
Dans une même logique, le repositionnement des constructeurs sur des activités stratégiques, traditionnelles ou non (financement, entretien, location, etc.) s’est accompagné d’un processus de croissance interne ou externe par fusions et acquisitions.
Il apparaît ainsi que la dé-intégration et l’intégration ne sont pas des phénomènes indépendants. Ils sont consécutifs à deux stratégies distinctes mais complémentaires : la différenciation et la diversification. La différenciation renvoie au produit, l’entreprise élargit la gamme des produits offerts en modifiant certaines de leurs caractéristiques. Il lui est ainsi possible de toucher des consommateurs ayant une demande personnalisée. Cette démarche permet d’élargir la gamme des produits offerts, par une segmentation basée sur les préférences des consommateurs sans remettre en cause l’ensemble de son processus de production, i.e. en utilisant les mêmes structures productives. Dans cette perspective, on comprend aisément le rôle des équipementiers dans l’industrie automobile. Ces derniers fournissent les technologies complémentaires nécessaires à la différenciation, sans que les constructeurs soient contraints de remettre en cause leurs bases de production. Autrement dit, les constructeurs se séparent des activités qu’ils ne peuvent plus réaliser compte tenu de leurs ressources, et gardent celles qui restent dans leurs champs de compétences.
La diversification obéit à une logique différente. Lorsqu’une entreprise se diversifie, elle développe de nouveaux processus de production pour atteindre de nouveaux marchés. Il ne s’agit donc pas d’une segmentation de marchés mais d’activités. L’entreprise ne cherche pas de nouveaux débouchés, par la différenciation, pour un produit existant, mais l’accès à de nouveaux marchés par la réalisation de nouveaux produits. Il s’agit par exemple des investissements réalisés par les entreprises de l’électronique pour entrer sur certains marchés automobiles (par exemple le rachat de VDO par Siemens, de Lucas par Delphi, etc.), ou la création par les constructeurs de structures dédiées à la réalisation de certaines activités spécifiques (par exemple la création de banques pour les activités de financement, comme RCI banque filiale de Renault)
L’organisation des industries est donc consécutive à l’exercice de deux forces structurantes, les forces « intégratrices » et « dé-intégratices », qui bien qu’antagonistes, s’inscrivent dans une même dynamique : la division du travail. L’industrie automobile ne constitue pas un cas particulier. Bien au contraire, elle est emblématique de la dynamique qui restructure l’ensemble des économies de marché et qui ne constitue « qu’une étape supplémentaire dans une division du travail toujours remise en cause, une nouvelle recomposition des économies internes et externes à l’entreprise, qui conduit à de nouveaux accroissements de productivité et de variété »[2]

[1] Ce mouvement atteindra des formes extrêmes. Le site de River Rouge, érigé dans la deuxième moitié des années 1920 par Ford en est une excellente illustration. Sur ce site se concentrait l’ensemble des étapes de la production d’une automobile, jusqu’à l’élaboration des produits intermédiaires comme l’acier et le verre. Cette intégration de la production d’acier et de verre fut un échec coûteux et cela parce que Ford ne possédait par les capacités spécifiques pour effectuer ce type d’activités.
[2] J. L. Gaffard, « Coordination, marché et organisation », Revue de l’OFCE, N°85, 2003, p. 237.