Le nouveau visage de l’industrie Allemande

Actualité initialement publié dans la newsletter de l’ADMEO N°27 Juillet – Août 2006 [1]

L’Allemagne est à l’heure de l’euphorie. Le chômage recule, la consommation repart et le moral des entreprises, comme celui des consommateurs, est au beau fixe. Le pays, qui a payé un lourd tribut à la réunification avec une croissance atone et un important chômage depuis plus d’une décennie, semble doucement sortir de ce marasme. On pourrait être tenté d’attribuer cette embellie à la coupe du monde, cette dernière soulevant l’enthousiasme partout dans le monde et particulièrement en Allemagne, mais il s’agit là de bien plus qu’un sursaut passager.
Si on peut attribuer une petite partie de l’ensoleillement économique de l’Allemagne aux retombées positives de l’événement footballistique, il est important de souligner qu’il résulte en réalité essentiellement d’un travail de fond réalisé par les différents acteurs du pays. Le pays fait preuve d’un dynamisme qui pourrait faire en Europe bien des envieux.
Alors que la France semble découvrir le rôle central des PME dans l’économie du pays, l’Allemagne mise depuis longtemps sur ces pourvoyeuses d’emplois. Elles bénéficient de différentes aides et de soutiens émanant notamment d’institutions financées par les deniers publics. On peut citer par exemple la fondation Steinbeis qui met à la disposition des PME les découvertes de ses 3000 chercheurs[2]. Les PME bénéficient également d’un important soutien financier des entreprises multinationales, comme Daimler Benz qui alloue une partie des ses fonds pour la R&D aux entreprises partenaires.
Les PME sont également partie intégrante des fameux pôles de compétitivité que la France peine à instaurer. Ces derniers sont une réalité en Allemagne depuis bien des années. Tous les grands groupes, comme Bosch ou Daimler Chrysler, sont intégrés dans des réseaux formés de PME, d’universités et de centres de recherche. Et avec 2,49% du PIB[3] investis dans la R&D, l’Allemagne détient le record européen du dépôts de brevets (15 981 en 2005, contre 5710 pour la France, selon l’OMPI), avec une forte présence dans les biotechnologies et la microélectronique. Les champions allemands restent parmi les dix premiers au classement mondial. Siemens, fort de ses 1402 brevets, se classe à la troisième place[4], suivi, respectivement en cinquième et septième position par Bosch (843 brevets) et BASF (656 brevets) et enfin par Daimler Chrysler (556 brevets) qui, à la dixième place, ferme la marche.
Une autre particularité de l’Allemagne réside dans le rôle actif des syndicats. Acteurs du fonctionnement de l’Etat comme des entreprises, ils ont joué un rôle déterminant dans le passage de l’Allemagne à l’ère high tech. Lorsque la France passait péniblement aux 35 heures avec un appareillage législatif lourd et contraignant, l’Allemagne misait sur la négociation. Sur la même base, les syndicats acceptent aujourd’hui de revenir sur leurs acquis en échange de garanties sur la pérennisation de certains emplois. Egalement très présents à tous les niveaux du processus décisionnel des entreprises, que ce soit dans les conseils de surveillance des grands groupes ou dans des comités élus par le personnel au sein des PME, ils participent activement aux choix stratégiques des entreprises.
Les syndicats allemands, notamment le puissant IGMetal, ont intégré la nécessité d’aborder l’économie avec réalisme. Devant tant de pragmatisme, les patrons ont mis en sourdine les critiques qu’ils pouvaient jadis formuler contre la cogestion, syndicats – entreprises, accusée de freiner la prise de décision.
L’Allemagne va pouvoir, avec le mondial, montrer son nouveau visage au monde. Le pays, à l’industrie vieillissante, empêtré dans une réunification, semble de plus en plus appartenir au passé. Néanmoins, rien n’est définitif, cette embellie remet au goût du jour les revendications salariales qui pourraient déstabiliser des relations entre les entreprises et les syndicats. De plus, le dynamisme de l’économie allemande reste soumis à la politique monétaire de la BCE, qui ne cache pas son désir de durcir ses taux.

[1] Merci à Sandrine Selosse pour tous ses commentaires.
[2] Capital, mai 2006.
[3] L’Allemagne est quatrième pour son taux de R&D, derrière la Suède (3,74% du PIB), la Finlande (3,51%), et le Danemark (2,63%) mais devant la France qui arrive 6 ème avec 2,16%. Données Eurostat, 6 décembre 2005.
[4] Les deux premiers de ce classement sont le groupe néerlandais Philips Electronics (2492 brevets) et le japonais Matsushita Electric Industrial co., ltd (20021). Le premier groupe français dans ce classement est THOMSON LICENSING S.A, à la 20ème place, avec 390 brevets