La fiscalité des entreprises : la France est-elle compétitive ?

Artcile initialement publié en Novembre 2004 sur le site de l’ADMEO

En relativisant l’importance de la fiscalité française dans les délocalisations, le Conseil des Impôts[1] a soulevé beaucoup de critiques. En effet, le rapport remis par le Conseil au Président de la République[2] affirme que le lien entre la localisation des entreprises en France et la fiscalité, notamment l’Impôt sur les Sociétés (IS), est faible. En ciblant les discussions sur l’IS les commentateurs du rapport n’ont pas été en mesure de percevoir les voies de réforme que suggère ce travail. Si le document remis au Président conduit à relativiser l’impact du taux de l’IS en France, c’est pour mettre en évidence que la France souffre d’autres maux, qui sont, étant donné le contexte actuel, bien plus préoccupants.
 
Le rapport réduit le rôle de l’IS, parce qu’il apparaît évident qu’il joue un rôle marginal dans le processus de décision des entreprises. Dans une enquête réalisée par Ernst et Young Law (cité dans le rapport), il ressort que les chefs d’entreprises semblent accorder plus d’importance à la disponibilité d’infrastructures (de transports, logistiques et de télécommunications) et de main d’œuvre qualifiée qu’aux critères fiscaux. (voir annexe 1).
 
Or la position de la France sur l’ensemble de ces paramètres n’est pas défavorable (voir annexe 2) et sa position géographique en fait une localisation de choix pour les entreprises cherchant à s’implanter en Europe. C’est dans ce contexte, que le rapport établit que la fiscalité sur les sociétés ne semble pas particulièrement handicaper la France. Néanmoins, il souligne également que la concurrence fiscale grandissante, peut à l’avenir rendre la position de la France plus délicate. En effet, si la France dispose d’un grand nombre d’avantages (infrastructures, qualité du travail, etc…), elle devient vulnérable aux attaques de ses partenaires européens, comme l’Allemagne qui a fait passer le taux effectif de l’IS de 45 % en 1998 à 26,37% en 2004.
 
En ce qui concerne le taux de l’impôt sur les sociétés, la France a les moyens d’être concurrentielle. Bien que son taux nominal soit élevé, le système français n’est pas si défavorable (voir annexe 3). En effet, il existe un ensemble d’avantages fiscaux (régimes d’amortissement, régimes d’intégration fiscale, etc…) qui permettent de réduire l’assiette fiscale de manière très importante. Si bien qu’en alignant son assiette fiscale sur celle de ses partenaires européens, la France pourrait baisser son taux d’IS et maintenir un niveau de recettes constant voire supérieur, puisque selon le rapport, les entreprises attachent plus d’importance aux taux (plus lisibles) qu’aux avantages fiscaux. En fait, le premier enseignement de ce rapport est qu’il est essentiel d’améliorer la lisibilité du système fiscal français.
 
Dans cette perspective, on comprend mieux l’opposition de Gilles Carrez, rapporteur de la Commission des Finances de l’Assemblé nationale, aux mesures anti-délocalisation proposées par Mr Sarkozy. En effet, la multiplication des niches fiscales (crédit d’impôt pour les entreprises qui re-localisent, allègements fiscaux pour les entreprises qui participent à un projet de recherche dans les pôles d’activités, crédit de taxe professionnelle pour le maintien de l’activité dans la zone d’emploi en grande difficulté) contribue à limiter la lisibilité du système fiscal français pour une efficacité plus que contestable. Comme nous l’avons vu dans l’article « Les délocalisations : une recomposition de l’industrie », il est contre-productif d’utiliser les deniers publics pour chercher à retenir des entreprises qui inévitablement partiront, car quelques soient les réductions fiscales obtenues, le gain en terme de coût du travail sera dans la majorité des cas plus avantageux.
 
Dans cette perspective, les taxes locales comme la taxe professionnelle, qui augmentent le coût du travail, paraissent plus pénalisantes que l’IS. Par ailleurs, outre la taxe professionnelle, les entreprises paient un ensemble de taxes locales (les taxes foncières, taxes spéciales d’équipement, etc…) qui sont d’autant plus préoccupantes que les présidents de régions annoncent des augmentations des impôt locaux de plus de 10% pour 2005 (Le Monde, vendredi 8 octobre 2004, p.8). La croissance de la fiscalité locale risque à terme de poser problème non seulement pour attirer les compagnies étrangères, mais également pour les entreprises françaises.
 
Agir sur la fiscalité locale paraît plus intéressant dans la mesure où cela permettrait de réduire le coût du travail et donc la profitabilité de certaines délocalisations[3] mais également parce cela stimulerait la création d’entreprises et le développement des PME. En effet, alors que l’IS ne touchent que les entreprises réalisant des profits l’ensemble des entreprises (y compris celles déficitaires) sont assujetties aux cotisations sociales et aux différentes taxes locales. Le poids de ces prélèvements, parce qu’il peut mettre en péril un grand nombre de jeunes entreprises, dont le flux de dépenses augmente plus vite que le flux de recettes, est beaucoup plus dissuasif que le taux de l’IS. « Si l’on s’en tient à l’IS seul en ne tenant pas compte des impôts locaux assis ou non sur les bénéfices la position de la France est confirmée par des études de la direction de la prévision et de l’analyse économique, selon lesquelles elle se classe au 3ème ou 4ème rang sur un panel de 12 pays d’Europe au regard du taux marginal effectif » (rapport du conseil des impôts, op. cité p.86). Si bien que le poids de l’IS seul, compte tenu des effets d’assiettes et de taux, est relativement modéré en France.
 
Au delà de l’amélioration de l’IS, la France doit accentuer ses efforts pour réduire le fardeau que représente la fiscalité locale. Le gouvernement, de par l’exonération de la taxe professionnelle pour les nouveaux investissements productifs, paraît conscient de ce problème. Néanmoins, les avantages accordés aux entreprises ne sont que des « rustines » sur des problèmes qui, lorsque ces avantages arriveront à échéance (par exemple décembre 2005, pour l’exonération de taxe professionnelle) se poseront à nouveau. C’est pour cette raison qu’une remise en cause de la fiscalité qui pèse sur la production doit être la priorité du gouvernement. Ce problème est d’autant plus prégnant que pour restaurer sa compétitivité au niveau international, la France doit impérativement développer de nouvelles activités et nul n’ignore que les nouvelles technologies et les nouveaux services émergent le plus souvent au sein de nouvelles structures innovantes. Il faut augmenter le taux de natalité et les chances de survie de ces entreprises, source de richesses et d’emplois pour demain.
 
En mettant l’accent sur le problème de l’IS, les commentateurs du rapport ont omis d’en dégager le principal enseignement, à savoir qu’il est inutile d’agir sur l’IS si on ne remet pas en cause les contraintes inhérentes à la fiscalité locale des entreprises.
Malgré tout, le Conseil des impôts tempère le poids de la fiscalité sur l’attractivité de la France, puisque selon son rapport, la fiscalité globale en France (hors cotisations sociales) est moins pénalisante, qu’elle en a l’air. Pour notre part, ses conclusions, étant donnée l’augmentation attendue des impôts locaux, risquent de devenir obsolètes.
 
Annexe 1 : Extrait du rapport du conseil des impôts, p. 98
« Pour apprécier l’importance relative des différents paramètres aux yeux des chefs d’entreprise, un baromètre classe leurs attentes respectives à l’égard du site d’implantation, lorsque celui-ci est susceptible d’être choisi n’importe où dans le monde.
Le résultat, par ordre décroissant d’importance, en est le suivant : se rapprocher d’un marché cible (1) ; bénéficier de bonnes infrastructures de transport et de logistique (2) ; bénéficier de bonnes infrastructures de télécommunications (3) ; disposer d’un environnement et d’un climat social stables (4) ; bénéficier d’une zone monétaire stable (5) ; disposer d’un droit du travail flexible (6) ; se rapprocher d’une main d’œuvre qualifiée (7) ; abaisser les charges fiscales de l’entreprise (8) ; avoir un environnement administratif et législatif clair et stable (9) ; abaisser les coûts salariaux (10) ; faciliter la communication avec les autres implantations et les marchés de l’entreprise (11) ; offrir une bonne qualité de vie aux salariés (12) ; bénéficier d’aides ou de subventions des pouvoirs publics (13) ; se rapprocher de pôles régionaux d’excellence (14) ; baisser les charges sociales des expatriés (15) ; être au contact d’une place financière de 1er plan (16) ; bénéficier d’une faible fiscalité des stock-options (17). »
 
Annexe 2 : Tableau de bord de l’attractivité de la France dans un ensemble de 10 pays
(Allemagne, Belgique, Espagne, Etats-Unis, France, Royaume Unis, Italie, Japon, Pays-Bas, Pologne)Source : Tableau de bord de l’attractivité, AFFI, 2004
Indicateur

Rang de
la France

Etat leader
parmi les
10 référencés

Infrastructures ferroviaires : densité des voies ferrées
à grande vitesse

1

France

Productivité horaire du travail

2

Belgique

Démographie : croissance de la population

3

Etats-Unis

Compétences linguistiques

4

Pays-Bas

Dépenses de R&D / PIB

4

Japon

Coût horaire du travail manfacturier

4

Pologne

Dynamisme endogène : croissance de l’investissement
des entreprises sur le marché domestique

5

Espagne

Accessibilité des marchés : mesure du potentiel marchand

5

Belgique

Niveau d’éducation atteint par les 25-34 ans

5

Japon

Infrastructures routières : densité des autoroutes

5

Belgique

Absence de contraintes administratives

5

Royaume-Uni

Marché domestique : croissance PIB sur moyenne période
(1990-2003)

6

Espagne

Nombre de jours de grève, hors fonction publique

6

Japon

Internet : nombre d’abonnés ADSL et câble pour 100 habitants

7

Belgique

Capital-risque levé en % du PIB

8

Etats-Unis

Fiscalité des personnes : taux d’imposition des hauts revenus
(cas d’un célibataire 
sans enfant)

4

Royaume-Uni

Fiscalité des personnes : imposition desimpatriés

6

Royaume-Uni

Fiscalité des entreprises : taux effectif moyen d’imposition

6ème sur 7 *

Royaume-Uni

(*) Le taux effectif (le taux affiché) est choisi car il demeure le taux de référence, néanmoins il n’est pas révélateur de la fiscalité qui pèse sur les entreprises. Le taux nominal, aurait été dans ce sens plus pertinent (voir annexe 3).

Annexe 3 : Taux effectifs et taux nominaux de l’impôt sur les sociétés en Europe (en % de l’EBE). Source « L’harmonisation fiscal en Europe », Amina Lahrèche-Révil, CEPII, 2002.

 Tableau2

[1] Le Conseil des impôts est un organisme indépendant d’analyse et de proposition dans le domaine de la fiscalité, rattaché à la Cour des comptes.http://www.ccomptes.fr/organismes/conseil-des-impots/presentation/presentation.htm
[2] http://www.ccomptes.fr/organismes/conseil-des-impots/rapports/concurrence/rapport.pdf
[3] Les délocalisations ne sont pas toujours aussi rentables que les entreprises le croient, parfois les frais d’installation et de développement d’un site peuvent amputer jusqu‘ à 60% des bénéfices de la délocalisation