Ça me gratte : Internet, segmentation des offres, « net-neutralité »… le scénario du pire.

Il y a quelques jours on ne parlait que de la fin de l’« illimité » pour l’Internet fixe. Après une brève et molle tentative de défendre cette position les opérateurs ont battu en retraite, jurant la main sur le cœur que cela n’était absolument pas dans leurs plans. L’illimité ne serait pas remis en cause. Non, leur seul objectif serait de parvenir à faire contribuer de manière plus importante ces méchants « net-goingres » (5% à 10% des internautes) qui monopoliseraient 80% de la bande passante [1].

Pourtant, il n’est pas difficile de les confondre -une nouvelle fois-. Tout d’abord, sur le fond, comment faire payer un consommateur qui bénéficie déjà de l’illimité, sans introduire une limitation sur une partie de leur offre (bref sans segmenter)? Ensuite, quelques recherches rapides sur le web suffisent pour exhumer quelques déclarations passées qui prouvent que cette ambition est, non seulement, réelle mais aussi ancienne. PCinpact, qui a demandé l’aide de ses lecteurs pour trouver des éléments prouvant cette volonté des opérateurs de mettre fin à l’Internet « illimité », a trouvé quelques perles. C’est, d’ailleurs, par ce moyen que j’ai pris conscience, que l’illimité, parce cela arrangerait beaucoup de monde, est bien plus en danger qu’on ne le croit.

Fin de l’illimité : Trop d’acteurs ont à y gagner…

J’ai soutenu l’idée que la fin de l’illimité porterait atteinte à un certain nombre de services web, qu’ils soient gratuits ou payants. En effet, pourquoi écouter de la musique en streaming si cela est déduit de mon forfait Internet ? Autant télécharger des fichiers et les réécouter « off line » autant que je le veux. J’avais également suggéré que cela ne serait pas plus réjouissant pour les services dit « premium ». Puisque cela consiste à payer pour un service (streaming en illimité) que l’on ne pourra pas consommer comme bon nous semble.

Dans cette réflexion, j’avais oublié un élément : « les offres packagées ». Ce qui remet en cause une partie de ce raisonnement. Je fais référence aux abonnements du type de ceux proposés par Orange, qui lient à un forfait de communication un abonnement premium à Deezer. Dans ces offres, la 3G (abusivement appelé Internet) est toujours limitée par un « fair use » (de 500 Mo à 2 Go), sauf lorsqu’il s’agit d’utiliser Deezer [2]. Deezer a, aujourd’hui, 1,2 millions d’abonnés alors qu’il peinait à en rassembler, avant son alliance avec Orange, quelques centaines de milliers.

Les ayants droit dans tout cela ? Non seulement, ils applaudissent mais ils œuvrent en coulisses pour pousser le mouvement, notamment, en dégradant le « gratuit ». Et il n’a échappé à personne que c’est un succès, que l’on parle de Deezer, qui a aujourd’hui un diffèrent avec Universal Music à ce sujet, ou de Spotify (qui lui vient de s’acoquiner avec SFR). Les services gratuits de ces derniers deviennent petit à petit sans intérêt.

Les synergies qui peuvent exister entre ses différents acteurs sont susceptibles de se renforcer dans le fixe. Car si les services proposant des contenus ont besoin des FAI pour engranger des clients (et les ayants droit … pour faire de l’argent). Les opérateurs, eux, ont besoin de ces services pour pouvoir segmenter leurs offres et tuer l’illimité… en douceur.

Comment tuer l’illimité…

A côté des offres « triple play » traditionnelles, pour ne pas revenir sur leur promesse, les FAI pourraient proposer des offres Internet « limitées » à quelques dizaines de giga-octets mais accompagnées de nouveaux services attractifs non décomptés du quota de données offert. On peut, par exemple, envisager qu’Orange, propose un forfait limité pour une quarantaine d’euros, associé à un abonnement à Deezer et à un service VOD –la future offre de Dailymotion si elle voit le jour-. Bien entendu, l’usage de ces services ne serait pas décompté du quota de données inclus dans le forfait. Orange ayant des billes dans Dailymotion, on peut même envisager que l’ensemble de leurs services ne soit pas pris en compte dans cette limitation.

Si les services associés à ce type de forfaits sont suffisamment attractifs le consommateur pourrait même oublier qu’il ne s’agit plus d’un Internet « illimité ». Il suffit alors de multiplier ce type d’offres pour que l’ « illimité » devienne invisible et puisse progressivement disparaitre. Et si la demande est là, la concurrence sera alors forcée de faire de même : les mauvaises offres chassent les bonnes.

Bien entendu, si au départ tout cela serait proposé avec des tarifs attractifs, ce ne serait plus le cas si le « triple play » fini par mourir au profit d’offres multiples et incomparables. C’est aussi une leçon à tirer du marché mobile, la segmentation à outrance des offres, nuit à la transparence et autorise des prix élevés.

Tout cela n’est qu’une fiction, mais vous admettrez que toutes les conditions requises, pour que ce scénario prenne forme, sont réunies. Et à ceux qui soulignent les problèmes (réels) que cela poserait sur le plan de la concurrence ou de la neutralité de l’Internet, je répondrais que cela ne semble gêner personne lorsqu’il s’agit du mobile….

 

[1] Selon nous, les « net-goinfres » ne sont qu’une fiction…

[2] Voir : http://www.infos-du-net.com/actualite/17392-orange-deezer-mobile.html . De notre côté nous avons cherché et trouvé aucune référence à une limitation de bande passante pour ce service.