Ça me Gratte : Téléphonie mobile. Comment vendre à prix d’or, ce qui n’a plus de valeur ?

Le 6 mai 2011 l’ARCEP a publié les nouveaux tarifs d’encadrement de la terminaison d’appel mobile (TAM). Les valeurs proposées sont enfin représentatives des coûts réels supportés par les opérateurs. Ce miracle est permis par l’usage de la méthodologie, dite du coût incrémental, imposée par la Commission Européenne[1].

La TAM : quoi, comment ?

La TAM est une prestation que se facturent les opérateurs entre eux. Lorsque j’appelle avec un téléphone Orange vers un téléphone Bouygues Telecom, le second facture au premier un droit de passage (et inversement). Parce ce que chaque opérateur à un monopole sur ses clients, la réglementation européenne impose de réguler cette prestation. Ce qui se traduit par un « price cap » (prix maximum autorisé) imposé par le régulateur des télécoms (ARCEP) à l’issue d’une analyse de marché (le marché de l’interconnexion).

Jusqu’à présent, la méthodologie utilisée pour déterminer ce « price cap » était celle du coût complet. Ce qui signifie que le modèle de coûts utilisé prenait en compte un ensemble d’investissements qui n’avait pas pour cause (ou cause principale) cette prestation. Par exemple, l’installation d’une antenne relais, alors même que cette dernière vise avant tout à ce que l’usage du mobile soit possible dans une zone géographique définie (il ne se s’agit donc pas d’un investissement spécifique à la réception des appels).

La méthodologie du coût incrémental impose de prendre en compte uniquement les coûts générés directement par cette prestation d’interconnexion. Cette révolution méthodologique fait passer le prix de la TAM de 14,94 c€/minute pour Orange et SFR et 17,89 c€/minute pour BT en 2004 à 0,8 c€/minute pour tous ces opérateurs à l’horizon 2013. Les étapes pour atteindre cet objectif sont 2 c€/minute au 1er juillet 2011, 1,5 c€/minute au 1er janvier 2012 et de 1 c€/minute au 1er juillet 2012 pour six mois.

Baisse de la TAM : la destruction de la valeur économique [artificielle] de la voix…

Cette décroissance de la TAM, comme nous l’avons écrit à plusieurs reprises, va, enfin, permettre une vraie convergence fixe-mobile. Une convergence technique qui permettra au consommateur d’utiliser indifféremment son fixe et son mobile quels que soient son interlocuteur et sa situation géographique (en France).

Cependant, il ne faut pas négliger qu’une baisse de la TAM conduit à éliminer l’élément qui cautionne une politique tarifaire en décalage avec ce que l’on peut attendre d’un marché concurrentiel. En effet, c’est bien ce coût artificiel qui permet de vendre à prix d’or des forfaits mobile et non les coûts réels (la voix utilise le réseau 2G, amortie depuis des années) supportés par les opérateurs.

Cette stratégie est en partie possible parce qu’appeler un mobile depuis un fixe est, à cause du coût excessif de cette TAM, un acte de bravoure (le prix/minute étant particulièrement élevé). Avec la baisse de la TAM, les appels vers les mobiles pourront être intégrés dans les box aDSL, sans surcoût. Ce qui constitue déjà une difficulté pour les opérateurs. Comment légitimer des prix élevés pour des forfaits mobile lorsque le coût/minute d’un appel fixe mobile devient anecdotique ?

De plus, la baisse des TAM autorise des stratégies agressives pour les petits acteurs ou un éventuel nouvel entrant. Le marché devient, clairement, contestable. On peut, d’ailleurs, penser que les récentes annonces de Numéricâble ou de Zéro Forfait sur le marché mobile ne sont pas étrangères à cette évolution.

Opérateurs de téléphonie mobiles, quelles perspectives ?

On l’aura compris il va être difficile pour les opérateurs de continuer à vendre des forfaits à prix d’or en s’appuyant sur le service « voix ». Doit-on en conclure que les opérateurs sont en train de vivre la fin d’un âge d’or ? Evidemment non, mais cela implique que les opérateurs soient capables de muer et de valoriser de manière différente leurs services.

Un moyen de dégager de nouvelles sources de revenus est dans la construction d’offres convergentes adossées à de nouveaux services. Mais il y a plus aisé : d’avantage valoriser la 3G et la future 4G. En effet, les consommateurs sont devenus particulièrement friands de certains services internet via les mobiles. Or, cette appétence, parce qu’elle « remplit » les réseaux, crée une rareté en terme de ressources disponibles (essentiellement les fréquences). Pour être claire, à terme, avec les conditions commerciales actuelles, tout le monde ne pourra être satisfait (la demande est rationnée). La solution ? Segmenter les offres de données (3G et 4G) (services disponibles, quantités de données proposées, vitesse, etc.). La rareté des ressources combinée à l’utilité croissante de ces services pour le consommateur devraient autoriser l’apparation de ce type d’offres.

Néanmoins, s’il est aisé de justifier, économiquement, ce changement de stratégie, quand pensera le consommateur? En effet, comment lui faire accepter, que l’ « internet illimité » qui lui est proposé depuis plusieurs années (comme produit d’appel pour vendre des forfaits voix à des prix élevés) sera remplacé par des offres composées d’un nombre très réduit de services internet (facebook + BB messaging ?), avec des quantités  de données échangeables très limitées et à des prix qui pourraient être, eux, sans limites? L’argument d’une abondance « voix » suffira-t-il à faire passer la pillule ?

[1] Mai 2009 http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:124:0067:0074:EN:PDF